mercredi 3 septembre 2014

La jeune fille et la mort

Elaine est dans le flou depuis sa sieste forcée. Réveillée en panique, elle n’a pour autant mentionné cet événement à personne, se demandant si ce n’était pas qu’un rêve. Le souvenir qu’elle en a, cependant, net et précis, inaltérable, la pousse vers la thèse de la réalité. Et cela se conjugue à merveille avec les derniers évènements qui ont précipités la population de Couronne dans la frayeur dès que la nuit vient à tomber. La jeune femme s’est promis d’aller signaler son aventure aux autorités sans parvenir à décider d’un moment. Chaque chose en son heure, se dit-elle, tout en descendant pensivement les escaliers qui mènent à la sortie de la ville. 

C’est alors qu’une ombre, qui n’a rien d’onirique pour le coup, vient obscurcir sa vision de la rivière. Tout être censé se serait précipité en arrière : c’est trop beau pour être le fruit du hasard… Mais Elaine se contente de poursuivre sa route, capricieuse au point d’aller vérifier s’il est vraiment réel. Prudente, elle s’approche donc de l’individu, gardant toutefois ses distances.

Ashram entendra un bruit de pas derrière lui... Tendant l'oreille il sentira les pas s'arrêter à quelques mètres derrière lui... Il ne bougeait pas d'un millimètre... Pas pour l'instant, les mains cachées par la cape, il les approchera de ses dagues, on ne sait jamais des fois que ce soit un de ces foutus elfes qui aurait été pris d'incommensurable stupidité au point de s'attaquer à un Drow... Les pas cependant étaient trop lourds trop pressant sur le sol pour être ceux d'un elfe, ou alors, peut-être un elfe aussi gras que ces nains... Il tournera la tête après de longues secondes immobile, ne sentant, n'entendant rien venir... 

Il posera ses grands yeux gris sur la jeune femme qu'il avait endormi la veille. Lentement il dégagea une main de sa cape pour venir tapoter le sol à côté de lui, comme une invitation muette avant de revenir poser ses grands yeux gris sur l'eau... Tous ses mouvements avaient été d'une lenteur incroyable, d'une fluidité et d'une grâce qui aurait largement pu dénoter avec tout être masculin de n'importe quelle race.

Elaine le détaille d’un œil à la fois vif et angoissé. Il lui indique l’herbe à côté de lui d’un tapotement fluide. Pense-t-il sérieusement que qui ce soit puisse avoir envie d’aller s’asseoir à côté de lui ? Elle est à la fois courroucée et apeurée. Mais une chose est sûre : il est réel. Et il l’a endormie le jour précédent, en versant quelque potion aux effets somnifères dans sa bouche ; il l’a embrassée… Et après ? Elle frémit, sans pouvoir déterminer si c’est de rage ou d’émotion. Elle inspire une large goulée d’air et tourne les talons. 

Sa voix claire s’élève dans l’air tiède de l’aurore : « Je vais vous dénoncer aux autorités », annonce-t-elle fermement, « vous êtes fini. » Elle se met alors à avancer vers Couronne, le pas plein d’une assurance dont elle ne se savait pas capable avant ce jour. Ce n’est pas une menace en l’air. Cela n’a rien d’une provocation dans le vent.

Ashram fronce rapidement le nez à l'évocation de la jeune femme, à la menace même... Lui qui répugnait donner une mort qui ne servait aucun but, elle venait de lui servir une parfaite excuse de la tuer.... Idiote ! Idiote ! Idiote ! Il hausse un sourcil un instant... Limite à se demander pourquoi il s'en sentait agacé... Elle n'était rien qu'un être inférieur après tout, il n'avait aucune raison de s'énerver pour si peu, et la mettre à mort serait un jeu d'enfant, aussi facile que d'arracher une épée en bois des mains d'un drow de 20 ans... Il soupire alors, et se dirige d'un pas rapide vers Elaine. Les mouvements sont souples, fluides, silencieux... Tant pis elle l'avait cherché... Il fallait intervenir... Sa curiosité des êtres de la surface devait passer en second plan... 

Il contourna sans aucune difficulté la petite rousse pour se planter face à elle... les sourcils froncés, les yeux argent rivés sur son visage... Toujours aucun son ne sortait de sa bouche, il se contentait simplement d'appuyer son froncement de sourcils par un geste de négation de la tête.

Elaine poursuit sa progression vers Couronne, pleine d’une détermination sans faille : ces elfes noirs sont vraiment suspects, à la fois dans leur comportement mais surtout dans leur façon d’agir. Elle a bien l’intention de tout balancer aux autorités de la citadelle afin qu’ils comprennent bien qu’il y a la une menace pour les habitants des Monts. Malheureusement, ses plans s’effondrent comme un château de cartes, balayés en une fraction de secondes. Elle se fige lorsqu’il apparaît face à elle. Loin de lui, elle était déterminée. Maintenant qu’il lui barre le chemin, avec cet air mauvais sur le visage, elle n’en mène pas large. Elle recule d’un pas, désireuse de maintenir une distance de sécurité entre eux. Nul doute cependant qu’il pourrait la franchir allégrement, en moins de temps qu’il ne lui en faudrait pour appeler au secours… 

Elle balbutie, à la fois effrayée et irritée : « Mais vous croyez-quoi ? Que vous pouvez débarquer ici et tout détruire ? Empêcher les gens de circuler dans la forêt ? Les endormir et les… les… embrasser ? » Ses joues virent rouge pivoine mais elle poursuit quand même : « Vous croyez que vous pouvez effrayer les gens à loisir ? »

Ashram laissera apparaitre un sourire durant une fraction de seconde lorsqu'elle rougit... Mais aussitôt son visage redevient inexpressif, comme si rien de ce qu'elle disait ne pouvait l'atteindre. Cette petite chose avait quelque chose autant irritant, que curieux... Une chose était sûre, elle avait peur de lui, pourtant... Il n'avait encore rien fait qui puisse l'expliquer. La tuer sur le champ, c'est ce que la raison lui martelais sans cesses comme une litanie.... La tuer serai le moyen le plus efficace de ne pas mettre en danger les invocations de la prêtresse... Il laissera ses yeux glisser sur le corps de la rouquine, quelques secondes... Avec la corpulence de la jeune femme, il ne mettrait à peine plus d'une seconde à la tuer, cependant, ça pourrait soulever quelques questions, surtout au vue de l'homme qui semblait la protéger... Le type à la grosse hache... Il ouvre alors la bouche comme s'il allait dire quelque chose, mais rien, pas un son, pas une seule onde n'en sort... Tellement peu habitué à parler qu'il ne trouvait aucun mot... Il lèvera alors lentement sa main droite pour tendre un index à la verticale entre eux... Comme s'il lui demandait d'attendre. 

Son autre main fouillera sa sacoche et il en sortira une petite fiole de couleur verte qu'il lui montrera.

Elaine qui est pourtant de nature plutôt douce est profondément énervée par cet interlocuteur qui ne daigne même pas ouvrir la bouche pour lui répondre. Et quand il sort la fameuse fiole et qu’il lui montre, c’est avec rage qu’elle lorgne dessus. Si elle garde assez de raison pour ne pas lui sauter à la gorge afin d’essayer de l’étrangler –ce ne serait pas tâche facile mais rien que d’essayer serait libérateur- elle ne se prive pas pour hausser la voix sur lui, celle-ci montant dans les aigus sous l’effet de la colère : « Vous vous foutez de moi, c’est ça ? » grogne-t-elle, « Vous pourriez au moins répondre, non ? Ça ne vous dérangeait pas tant que ça de parler, hier, pour me susurrer je ne sais quoi à l’oreille ! » Nouveau rougissement. Pourquoi n’arrive-t-elle jamais à rester crédible dans son ire ?

Ashram semblera cette fois ci complètement dubitatif... Ce genre de réactions c'était bien la première fois qu'il la croisait... Quelque chose de vraiment bizarre... de la colère, de la gène... Il ne savait pas trop... il était bien plus habitué à n'avoir aucune réaction, ses victimes n'avaient jamais le temps de le voir et ceux qui n'étaient pas ses victimes avaient peur de ses talents parce qu'ils le connaissaient.... Pourtant elle, cet être, montrait quelque chose d'étrange... Elle n'avait aucune raison d'avoir peur elle ne le connaissait pas, elle ne connaissait pas non plus ses faits et encore moins sont statut de Maitre assassin... Mais il n'y avait pas que ça... Autre chose... Il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus... Son visage montrera une étrange curiosité, une incompréhension devant la réaction de la jeune femme...

Encore une fois il prendra une inspiration et ouvrira la bouche comme pour parler, mais quoi dire ? Il semblait presque désemparé pour la peine... Parler pour ne rien dire... Ridicule, ça ne sert à rien.. L'index tendu pointera alors la fiole qu'il tient, puis il montrera un pouce, avant d'ouvrir la main à plat et la poser sur sa joue pour mimer quelqu'un qui dort... Il espérait arriver à détourner l'attention de la jeune femme sur sa fiole, on ne sait jamais, puis finira par poser son index sur ses lèvres comme un signe de silence... parce qu'à ce train là, si elle continuait à hurler, il allait vraiment devoir l'obliger à se taire d'une manière ou d'une autre.

Elaine écarquille les yeux en le voyant faire. C’est tellement stupéfiant qu’elle en perd son latin et passer quelques instants, la bouche ouverte, à le regarder d’un air perplexe. Ce doigt posé sur ses lèvres… Ne peut-il pas lui demander de se taire en parlant, comme les gens normaux ? Si elle n’avait pas entendu le son de sa voix, le jour précédent, elle aurait volontiers cru qu’il était muet mais pour le coup il n’a, à ses yeux en tout cas, pas l’ombre d’une excuse. Elle pousse finalement un long soupir. Sa voix a reprit un ton normal mais elle dénote toujours une vive irritation : « Qu’est-ce qu’il y a ? » Elle qui est toujours bavarde ne sait plus trop comment s’y prendre pour communiquer…

Ashram prend une longue inspiration lorsqu'elle lui pose la question plus calmement... Son cerveau tournera à deux milles à l'heure, cependant, il avait une chance à tenter avant de la réduire totalement au silence et risquer de soulever plus de question à quelques jours à peine du sacrifice... Il se lèchera les lèvres comme pour réfléchir, les yeux argentés dardant le visage de la jeune femme... 

Il pointera son interlocutrice de l'index... Puis montrera le sol la ou elle s'était endormie la veille... Il posera la main à plat sur sa joue et commencera à mimer un sommeil agité... Un sommeil perturbé... Attendant quelques secondes pour voir si elle arrivait à suivre... Puis il se pointera lui, il désignera ensuite la fiole et montrera le chiffre 1 du pouce avant de désigner à nouveau Elaine et mimer ensuite un sommeil reposé. Il la fixera comme pour savoir si elle comprenait ses gestes... C'était pour lui le verdict... Si elle ne le croyait pas, il allait devoir prendre d'autres mesures, et adieu son étude des êtres de la surface.

Elaine adopte un air plutôt fermé : « Oui, vous m’avez endormie hier… En me faisant boire une goutte de cette fiole… » fait-elle en soupirant avant d’ajouter : « et cela ne se fait pas d’endormir les gens ainsi, vous savez ? En plus, je dormais déjà ! Vous m’avez réveillée pour me rendormir, vous ne trouvez pas ça totalement inapproprié ? » Il est à la fois très ténébreux et elle le devine dangereux et en même temps, en matière de relations sociales, il lui apparaît terriblement maladroit…

Ashram acquiescera alors doucement, visiblement elle commencer à marcher dans la direction qu'il voulait lui faire prendre, encore quelques efforts, il la pointera à nouveau... Avant de mettre sa main sur sa joue, il mimera un sommeil agité, remuer la tête, les épaules, quelques grognements... Avant de la regarder… Il forcera ensuite un léger sourire en pointant la fiole puis recommençant cette fois à mimer un sommeil qui celui ci sera posé, reposé, calme... Peut-être qu'elle comprendra enfin ce qu'il essayait de lui faire gober ? Qu'il ne l'avait fait que parce qu'elle semblait avoir un sommeil agité.

Elaine le regarde avec attention, décryptant ses mouvements comme si elle déchiffrait quelque document écrit dans une langue antique. Lorsqu’elle comprend, elle éclate de rire. Un rire léger et enfantin, pur, limpide comme l’eau d’une rivière.

Un rire qui s’éteint bien vite pour laisser placer à une vive contrariété : « Je sais que je n’ai pas forcément l’air intelligent », lui dit-elle, « mais vous pensez sérieusement que je vais croire que vous avez fait ça pour mon bien ? » Il y a dans ses yeux bleus une dureté qui jure avec la douceur du rire qui a retentit quelques minutes auparavant. Plus le temps passe et plus elle le trouve louche… Il la prend vraiment pour une idiote. Elle secoue la tête de droite à gauche : « Vous aggravez votre cas, vous savez, en me traitant comme la dernière des gourdes. »

Ashram se redresse alors en soupirant... Il range sa fiole dans sa sacoche en la fixant cette fois ci bien plus durement... Il secoue la tête de droite à gauche comme vraiment contrarié. Cette fois ci il ouvrira la bouche, prenant une lente inspiration.... Et des mots en sortent... lentement, à peine plus audible qu'un murmure, à peine plus fort que le bruit de la brise dans les arbres : 

« Alors tu ne me laisses pas le choix... Plutôt que de laisser couler, et continuer à vivre ta vie... Il faut que tu me menaces... Je n'avais aucune raison de te faire de mal, et je ne voulais pas en avoir…  Cependant en voulant aller voir la garde tu me donne une raison de te faire taire à jamais... Je pense que tu es effectivement une idiote. »

Elaine blêmit, se demandant avec égoïsme si les humains des Monts méritent bien qu’elle ait pris pareil risque pour eux… L’instinct de survie commun vaut-il mieux que l’individuel ? La peur se lit sur les traits enfantins de son visage : « Vous ne parlez donc que pour menacer… », soupire-t-elle. Son cœur bat si fort. Rien ne servira de courir, ni de crier. Il est trop rapide. Elle grelotte. Dans un ultime sursaut de courage –ou de folie- elle approche son visage du sien en se hissant sur la pointe des pieds et demande d’une voix tremblante, tout bas : 

« Vous allez me tuer, alors ? Vous savez que ma mort ne passera pas inaperçue ? Que je vive ou que je meurs… Vous êtes perdu. »

Ashram restera toujours aussi immobile, les yeux rivés dans les siens... Son regard acier semblant dur et aussi froid que le métal... Il lèvera lentement la main vers la joue de la rouquine pour l'y déposer doucement : « Je ne parle que lorsque c'est vraiment utile, les mots ne servent à rien... Mais vous êtres de la surfaces semblez les utiliser à tord et à travers et ne rien comprendre d'autre... Alors tu m'obliges à les utiliser... Je ne te voulais aucun mal. Je ne tue jamais lorsque ça ne sert aucun but. Et jusqu'à maintenant je n'avais envers toi que de la curiosité. Je voulais apprendre de ta race. Mais tu veux me forcer la main, m'obliger à te faire taire... Parmi les miens, je suis ce qu'on appelle un Maitre Assassin... Si tu m'obliges à te tuer, personne ne me verra, et personne ne saura. Tu disparaîtras tout simplement. Je ne laisserai pas un être de la surface me créer des problèmes tout ça  parce que je l'ai aidé à se reposer. »

Elaine le foudroie du regard. Toujours cet étrange mélange de peur et de hargne… : « Personne ne souhaite ma disparition ici… Une disparition de plus alors que Zéphyr sait que j’ai croisé l’un des vôtres dans la forêt… » Elle lui murmure : « Ils finiront par faire le rapprochement. Peu importe que nul ne sache que vous m'avez tuée. Ils feront le rapprochement. Vous ne pouvez décemment pas me tuer. » Elle tremble toujours. Sa main droite vient se poser délicatement sur l’épaule du drow, douce : « Nous sommes tous les deux dans l’impasse, je crois. »

Ashram approche alors ses lèvres de celles de la rouquine soufflant toujours aussi bas : « Ta mort me fera gagner du temps. Celle de ton homme de main suivra ensuite. Personne ne m'échappe, personne ne peut se cacher.... Vous serez simplement tout les deux repartis pour d'autres terres... C'est ce que tout le monde pensera. Tu souhaites vraiment m'obliger à de telles choses par caprice ? Juste parce que je t'ai aidé à trouver le sommeil et que pour éviter d'éveiller les soupçons d'un être aquatique j'ai déposé un baiser au coin de tes lèvres ? Ce ne serait pas ridicule ? »

Elaine résiste à l’inutile tentation de reculer brutalement le visage et de s’enfuir. Ses doigts se crispent légèrement sur l’étoffe de la cape qui recouvre les épaules de son interlocuteur. Elle maintient, à la fois avec attraction et anxiété, la proximité entre leurs deux bouches : « M’aider à trouver le sommeil ? Voulez-vous bien cesser, tout d’abord, de me prendre pour une idiote ? Si vous usez des mots avec tant de maladresse, je peux comprendre pourquoi vous êtes resté si longtemps silencieux… » Elle inspire une petite bouffée d’un air échauffé par leurs respirations réciproques, entremêlées au niveau de leurs visages : « Personne ne croira jamais que je puisse quitter cette ville. Vous avez tort de croire que les gens puissent disparaître si facilement, sans que le monde n’en soit ébranlé… Mais… » Elle ferme les paupières quelques secondes :

 « J’ai une proposition à vous faire, qui pourrait nous sortir de cette impasse. »

Ashram glissera lentement la main de la joue de la rouquine jusqu'à sa gorge, comme pour la maintenir, l'empêcher de reculer, sans pour autant exercer de pression assez forte pour provoquer une douleur... Ses grands yeux glisserons lentement des lèvres aux yeux de son interlocutrice, cherchant à la sonder, à chercher à deviner à quoi elle pouvait bien penser... Son souffle se mêlait à celui de la jeune femme, comme un baiser sans contact, les deux souffles se choquant, percutant.... :

 « Je n'ai fait que t'endormir, t'aider à trouver un meilleur sommeil. Je ne l'ai pas fait de bon cœur, j'avais d'autres motivations, mais toi, c'est tout ce qui te concerne... Tu as pu dormir paisiblement... Quand au reste, je doute que les humains soient aussi perspicaces que tu le penses, ils se moquent du sort de leurs congénères. J'en ai déjà eu la preuve... mais je t’écoute quand même, dis moi que tu n'iras pas me créer de problèmes, enlève moi cette raison de te faire disparaitre que tu viens de me donner. »

Elaine devient plus tendue. Elle sent ses muscles se raidir sous la gaine tendre de ses chairs. Sa respiration gagne en profondeur et son rythme cardiaque se fait de plus en plus rapide. Elle plonge son regard céruléen dans les iris argentés de l’elfe noir : « Que savez-vous de nous ? Pas grand-chose, je le crains… » Tous les humains n’étaient pas bons et une bonne majorité d’entre eux était en effet sujette à la couardise mais elle était un rouage nécessaire au bon fonctionnement de la cité puisqu’elle était le principal fournisseur des alchimistes d’Etat. Sa disparition les alerterait nécessairement, d’autant qu’elle n’est pas coutumière des absences imprévues :

 « Je ne dirai rien à une condition. » Sa voix vibre sous la peur mais elle dégage tout de même une certaine volonté : « Vous ne toucherez plus jamais un seul des humains de Couronne. Vous ne pénétrerez plus dans cette ville et garderez vos distances. Je ne sais pas si vous ou les vôtres êtes liés à la disparition de cet enfant et au point où nous en sommes, je ne veux pas le savoir. » Elle reprend son souffle. Leurs lèvres se frôlent. Frémissement. Elle reprend : « Vous avez déjà bien assez à faire avec les autres peuples. Prenez-vous en aux elfes, par exemple. »

Ashram écoutant chacun des mots d'Elaine, sa main gauche jusqu'alors cachée par sa cape ressortira une dague. Il la lèvera lentement pour l'approcher des yeux de l'humaine, il la fera tourner doucement entre ses doigts afin qu'elle puisse, si elle regardait la dague, s'apercevoir que la dague était recouverte d'une fine pellicule huileuse et d'une teinte violette... Pour ce faire il avait du reculer le visage de celui de la rouquine, mais il avait pour la peine raffermi sa poigne sur la fine gorge de la rouquine... Il soupire une nouvelle fois :

 « Tu es complètement stupide... Vraiment... Je n'avais aucun intérêt à te tuer, je n'avais aucune raison de le faire. Tu étais intrigante et je voulais apprendre à te découvrir » Il emploie visiblement le passé, « Mais parce que tu étais stupide, parce que tu voulais jouer à l'héroïne, et te mêler de ce qui ne te regardait pas... Il a fallu que tu m'obliges à te donner la mort... Ta race doit vraiment être dénuée d'instinct de survie, ce qui explique pourquoi vous êtes si faibles... » 

Il prendra encore le temps d'approcher la lame de la peau de la jeune femme. «  Tu t'imagines que tes requêtes sont impossible... Si je n'avais pas une mission à accomplir à Couronne, je ne serai jamais sortit des profondeurs de mes grottes... mais il a fallu que tu joue l'héroïne... Il a fallu que tu mettes en danger toute ma mission et même mon peuple. Tu ne me laisses pas le choix. »

Elaine est terrorisée. L’effroi fait vibrer ses iris bleus. Une certaine confusion vient perturber le bon fonctionnement de son esprit ; le faisant osciller entre orgueil, doutes et regrets. Elle va mourir, là, si proche de Couronne. Sans rien pouvoir faire. Cette terreur ne se reflète pourtant pas sur les traits doux de son minois qui gardent, elle-même en est surprise, cette sérénité singulière propre aux martyrs. Elle ferme les yeux. Qu’est-ce que ça fait de mourir ? C’est un assassin, cela devrait être rapide, se dit-elle comme pour se rassurer. Elle sent quelques larmes rouler sur ses joues, elle passe la langue sur l’une d’elle pour en sentir le goût salé. Une dernière fois ? La main qu’elle a gardée jusqu’ici posée sur l’épaule de l’assassin se relâche et retombe. Les siens la vengeront-ils ? Elle ne s’en soucie même plus… Ses jambes lui paraissent se dérober sous elle. Non, c’est tout le sol qui se dérobe. 

Tu n’es pas une héroïne, Elaine, tu n’as rien accompli…

Ashram désignera alors sa dague des yeux. Il soufflera tout bas : « Cette teinte violette qu'à ma dague s'appelle le Rathrae Dos... C'est un poison incapacitant, il t'empêchera de faire quoi que ce soit... Tu apparaîtras morte pour n'importe qui pourtant tu seras parfaitement consciente de tout ce qui t'arrive... La douleur sera décuplée... Les sensations multipliées par dix... Tu sentiras la moindre égratignure que je te ferai avec une violence rare... Cependant l'humaine... Si je te tuais maintenant, je te ferai une fleur. Je t'épargnerai une souffrance inutile. Mais je ne le peux pas, il va falloir que je te ramène à la prêtresse, c'est elle qui décidera de ton sort... Peut être que tu auras la chance de servir de repas aux démons Yochlol... »

Elaine a les yeux fermés et entend ce qu’il dit d’une ouïe troublée par la peur. Un assassin même pas fichu de la tuer sur le coup… Mais d’où sort-il celui-là ? A vrai dire, elle ne comprend pas l’intégralité de ce qu’il raconte mais rien de tout cela ne lui paraît plus réjouissant qu’une mort immédiate. Elle reste silencieuse, dans l’attente. Elle aurait eu le temps de crier mais chaque seconde qui passe lui semble détruire cette opportunité… : 

« Avez-vous vraiment besoin d’utiliser ça sur moi ? », le questionne-t-elle finalement d’un grognement. 

C’est vrai, quand même. Elle est tellement frêle qu’il n’y a pas besoin de la paralyser pour la trimballer comme on veut… Est-il lâche à ce point ?

Ashram laissera alors la dague glisser le long du dos de l'herboriste, sa main sur la gorge se resserrant un peu plus pour l'obliger à s'approcher de lui, la plaquer contre lui... Il souffle tout bas, laissant ses lèvres à quelques millimètres des siennes... Reprenant son murmure au rythme lent de son cœur... 

Il déposera un rapide baiser à la commissure des lèvres de la rouquine, comme il l'avait fait la veille : «  Je te laisse le choix petite chose... Je n'ai aucune envie de te tuer, ni aucune raison pour l'instant... Souhaites-tu mettre en marche les menaces que tu as proférées ? Où allons-nous oublier tout ça et simplement faire connaissance comme je le voulais à la base ? Saches que si tu mens, ton destin tu le scelleras toi même. Mais si tu me prouves que je peux te faire confiance, alors tu ne craindras rien de moi. »

Elaine est livide. Elle n’a jamais eu aussi peur de toute sa courte existence. A bon être une héroïne si c’est pour mourir ? De toute façon, que peut-elle faire, elle, contre ces monstres ? Malgré la terreur qui l’habite désormais et qui n’est pas près de la quitter, Elaine se met à rougir lorsqu’il la presse contre lui pour lui baiser le coin des lèvres. Elle n’a pas le courage –ni l’envie ?- de s’offusquer de pareille attitude et pourtant, la jeune femme étant d’une pureté incontestable, elle n’est pas coutumière de ce genre de contact. Son regard fuit celui de l’elfe noir alors que le soulagement d’être encore en vie lui tombe dessus, aussi lourd qu’une enclume. En vie.

 Elle se met à balbutier : « Je… Je ne dirai rien à personne. Jamais. » Elle trouve ça un peu facile comme moyen de s’en tirer mais après tout, s’il lui fait confiance…

Ashram s'écartera alors d'un pas, pour ranger sa dague au fourreau... Il la détaillera un instant soufflant toujours aussi bas : « Je ne tiens pas à te tuer... Surtout pour des raisons que tu t'imagines. Montre-moi que j'ai raison de te laisser la vie. Je te l'ai dis l'humaine, si tu ne me causes pas de tord, je n'ai aucune raison de te tuer... Je ne suis pas là pour ça. J'ai bien plus important à faire que de m'occuper de ceux de ta race. En revanche si tu dis à qui que ce soit ce que tu penses avoir vu, pense avoir deviné, ou ce qu'il vient de se passer ici. Il n'y aura pas un seul endroit sur cette terre ou tu pourras te cacher assez bien pour m'éviter. »

Elaine manque de tomber lorsqu’il s’écarte d’elle. Tout cela lui fait perdre le sens de l’équilibre. Elle n’a aucune idée des raisons pour lesquelles il l’épargne. C’est un assassin, il est habitué à tuer. Pourquoi préfère-t-il lui faire confiance ? Qu’est-ce qui a retenu sa main ? Qu’est-ce qui a poussé ses lèvres contre les siennes, aussi ? Et pourquoi, elle, ne parvient-elle pas à lui vouer la haine farouche qu’il mérite ? Elle relève vers lui un regard hagard, perdu. Il lui laisse le choix. Il lui laisse le choix de mourir pour prévenir les siens ou de survivre en les menant, peut-être, à leur perte… Compte-t-il donc sur son égoïsme ? N’est-elle pas égoïste ? : « Je ne dirai rien, c’est promis », répète-t-elle. C’est la seule chose qu’elle est capable de dire à l’instant tant la tournure prise par la situation la laisse pantoise.

Ashram acquiescera lentement s'écartant doucement pour lui laisser le passage libre... : « Je n'ai rien contre toi ni contre ceux de ta race. Alors ne sacrifie pas ta vie inutilement. Il va falloir que tu apprennes à donner plus d'importance à ta vie, parce que crier à la garde pour des raisons que tu ignores, pour des suppositions, ça peut parfois s'avérer dangereux. »

Elaine le détaille d’un œil brumeux avant de commencer à avancer vers Couronne, d’une démarche raide, presque douloureuse. Elle s’arrête à mi-chemin entre l’elfe noir et les escaliers qui permettent de monter jusqu’au cœur de la citadelle. Tournant le buste de trois-quarts, elle lui décoche un regard un peu étrange : « Je suis désormais la gardienne de votre secret. Alors, ayez au moins le bon sens, si ce n’est la courtoisie, de m’épargner vos leçons. Vous étiez prêt à tuer une jeune femme désarmée pour les vôtres. J’étais prête à faire la même chose pour les miens. Nous ne sommes pas si différents. »

Ashram hausse les épaules : « Là où tu fais erreur l'humaine, c'est que j'étais prêt à te tuer pour protéger mes secrets, je n'ai pas pour habitude d'être exposé. C'est à ma vie que j'ai pensé. Si je suis exposé, je ne peux pas accomplir ma tâche et si je ne peux pas accomplir ma tâche c'est la mort qui m'attend. En ça nous sommes différents, je me protège moi et je ne me mets pas en danger pour de parfais inconnus qui n'en auraient rien à faire de moi. »

Elaine lui adresse un sourire énigmatique : « Vous venez pourtant de vous exposer… Et ce ne sont pas des parfaits inconnus. » Elle incline la tête avec douceur avant de se retourner à nouveau. Ses pas l’approchent de plus en plus de Couronne et bientôt ils heurtent le marbre de l’escalier. Elle est en vue des gardes, il ne peut plus rien contre elle pour le moment. Elle mettra de longues heures à se remettre de cet épisode. Des jours, peut-être. Elle ne prendra pas de décision hâtive.

 Se taire ou parler. Vivre ou se sacrifier. Fuir loin des Monts ?

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